ESSAI SUR LES MENTALITES AFRICAINES ET LA SORTIE DE CRISE

Deux éléments sont à la base de ce livre. D’abord ce sont les aspects positifs des mentalités africaines qui m’ont attiré à venir en Afrique, et qui m’attirent toujours à sillonner l’Afrique en campagnes spirituelles. Deuxièmement, le retard économique et social, le sous-développement et la contradiction entre les potentiels naturels et humains de l’Afrique avec la situation réelle n’ont pas manqué de me choquer et de susciter en moi un besoin de recherche et d’analyse. Le résultat de cette recherche est que des mentalités communes aux africains et spécifiques à l’Afrique empêchent le progrès des sociétés africaines.

Je prie Allah que cette modeste contribution puisse inspirer des penseurs, artistes, éducateurs, et autres leaders d’opinion à mieux éduquer la société. Je ne peux prétendre avoir le dernier mot sur ce sujet et si certains ne sont pas d’accord avec moi je serais très heureux d’avoir ouvert un débat.

I L’AFRICAIN SPIRITUEL

Tout le monde prie. Les musulmans prient Allah, les chrétiens prient Jésus et les autres prient leurs fétiches ou les esprits de la nature ou les âmes de leurs ancêtres. Il est rare de trouver un musulman qui ne fait pas les cinq prières. Le plus souvent c’est à l’heure et ainsi on voit proliférer les lieux de prière sur les lieux de travail, les marchés et dans les maisons. Les vendredis et les deux fêtes rassemblent presque toute la population et c’est ainsi que (presque) toute mosquée comporte une cour assez vaste pour contenir les fidèles à cette occasion, il n’est pas rare que les routes soient fermées.

Nous allons rencontrer une difficulté tout au long de cet essai : les africains trouvent cette description évidente et se demandent à quoi cela sert-il. Mais telle n’est pas la situation dans d’autres pays où la proportion des musulmans qui n’accomplissent pas les cinq prières dépasse facilement les 50%.

Le respect du religieux et de l’homme de religion est profondément ancré chez l’Africain, et si vous venez parler de religion tout le monde vous respecte et vous écoute – y compris les autorités à qui il suffit d’annoncer que vous êtes imam pour simplifier la procédure la plupart du temps. Hélas dans d’autres lieux le religieux s’est tellement mêlé à la politique et parfois même à la violence que dès qu’on sent que vous êtes religieux, vous devenez l’objet de suspicion et d’enquêtes. Dans d’autres sociétés, le statut d’imam ou homme de religion peut devenir un objet de risée et de mépris dans la société, voyez ce fidèle qui dit à son imam qu’il ne peut pas prier au travail, l’imam dit : « les savants disent… » et le fidèle le coupe en disant : « Mais les savants ne travaillent pas ! ».

Les africains croient beaucoup aux pouvoirs spirituels des prières et bénédictions – douâs – ainsi que l’influence des bonnes et mauvaises œuvres sur la vie. Ils sont donc sensibles aux prêches et disposés à changer de vie. Il faut dire que quand cela vient de moi, blanc, arabe, francophone, intellectuel, venant de France, c’est beaucoup plus touchant, et pour cela je me sens beaucoup plus utile en Afrique.

Il en résulte que les imams, et notamment les grands imams, c'est-à-dire l’imam principal d’une ville, d’une région ou d’un pays jouent un grand rôle pour représenter la population musulmane et en tant qu’interlocuteurs des autorités. On ne peut pas dire que ce soient des fonctions très lucratives, mais c’est un rang social important et les gens viennent des fois demander des prières à l’imam et lui donnent un petit billet, mais surtout cela permet d’avoir des relations et d’obtenir des services. On ne peut pas manquer de parler du mysticisme en parlant de la spiritualité. Le continent noir est ancré dans une pratique animiste ancestrale dont on ne peut situer les origines. Cette pratique s’est transformée à travers l’Islam et le Christianisme en pouvoir spirituel des leaders religieux. Ce pouvoir spirituel est la plupart du temps satanique, et si je me restreins au cas des musulmans, s’exerce par des gris-gris, bagues de protection, invocations avec des noms de djinns et des sacrifices et pactes avec les djinns. Les populations n’ont aucun pouvoir de discernement puisque ce sont des « religieux » qui leur offrent ces services et habillent leurs procédés d’un emballage islamique. La sorcellerie en Afrique est un cancer généralisé, elle mine tous les secteurs d’activité, elle se mélange et se confond à la religion, au point des fois d’être considérée comme l’Islam officiel. Selon mon expérience, j’estime entre 5 et 25% en fonction des pays la proportion de musulmans qui n’ont jamais recours à des gris-gris et évitent toute forme de paganisme.

Pour clore ce chapitre sur la spiritualité, soulignons le grand mélange des traditions avec la religion : plusieurs coutumes sont inspirées de l’Islam, d’autres remontent à des faits ou conditions historiques, plusieurs sont des spécificités ethniques, mais ce qui est sûr, dans la mentalité de la majorité, tout cela ne fait qu’un. Je cite parmi les traditions à détacher de l’Islam et à bannir : l’excision, les rites extrêmement complexes des mariages et funérailles, les cérémonies et protocoles qui entourent les grands imams. Par exemple, il y a une obsession de la porte spéciale de l’imam et autres cadres de la mosquée, alors qu’ailleurs dans le monde le plus souvent l’imam entre comme tout le monde dans la mosquée et attend la prière pour diriger, ce qui est extrêmement rare en Afrique. On assiste fréquemment à une procession qui accompagne l’imam à la prière de vendredi, et parfois avec griots et haut-parleur.

II L’ESCLAVE ESCLAVAGISTE

Aussi loin que puisse remonter l’histoire de l’Afrique noire, l’esclavage en fait toujours partie. Pas besoin de reprocher aux blancs d’en avoir profité : ce sont les africains qui vendaient leurs frères aux blancs. Vous pouvez me dire : mais aujourd’hui que l’esclavage est aboli et inexistant, pourquoi encore parler de cela ? Car il est extrêmement présent dans les mentalités. Dès qu’une personne a un grade au-dessus des autres, il se met à les traiter comme des esclaves. Prenez un homme très riche, qui emploie des gens depuis des années, des employés efficaces et fidèles, qui sont les piliers de la réussite de son activité et qui leur donne un salaire de survie. Il pense que ses employés lui doivent tout, puisqu’autrement ils seraient dans la famine, et il ne lui vient jamais à l’esprit de les aider à s’en sortir, à voler de leurs propres ailes et à préparer un meilleur avenir pour leurs enfants.

Et celui qui a passé la moitié de sa vie dans cet état de quasi-esclavage, une fois qu’il a percé, qu’il a les moyens, qu’il a mis sur pied une ou deux boutiques ou un taxi, va à son tour reproduire le même comportement avec ses employés comme une vengeance ou comme une règle admise de tous.

Et que se passe t-il quand vous avez des esclaves qui travaillent pour vous ? Ils n’ont aucune perspective d’avenir et vivent au jour le jour. Il en résulte que s’ils ont l’occasion de voler l’argent ou manger quelque chose, ils se disent : « c’est leur chance !» et sautent sur l’occasion. Aussi la confiance est-elle une notion qui n’existe pas et le patron vient chaque soir à la boutique faire l’inventaire et compter la caisse. On affiche le principe : « la confiance n’exclut pas le contrôle » pour masquer la réalité de l’absence totale de confiance.

Donc une des difficultés récurrentes de toute organisation économique est : qui va contrôler les travailleurs, surtout le caissier ? Et qui va contrôler le contrôleur ? Et comment empêcher que tous ceux-là ne se mettent d’accord pour voler le patron ? Donc chaque fois que vous entrez dans un grand magasin d’un libanais, vous le voyez à la caisse et les noirs qui font tout le reste et lui qui les surveille du matin au soir. Si vous n’êtes pas convaincu, faites cette expérience simple : la façon la plus efficace et la plus rapide de vous ruiner en Afrique est de faire confiance.

Parmi les conséquences de la mentalité d’esclavage, si vous payez un travailleur, il ne va plus rien faire. Donc vous allez exercer un rapport de force en gardant l’argent jusqu’à obtenir 100% du résultat voulu autrement vous risquez de ne plus rien obtenir de votre travailleur. Et si vous avez le malheur de montrer votre satisfaction et lui faire confiance, vous ne tarderez pas à tomber de haut sauf pour de très rares exceptions pour lesquelles on se demande comment se fait-il qu’ils soient différents des autres. Ainsi vous voyez en alternance des scènes de travail intense jusqu’à vous dire « Mais quels travailleurs exceptionnels ! » et des scènes de paresse extrême jusqu’à vous dire : « Mais quelle bande de bons à rien ! » : tout est question de motivation et de gagner quelque chose en échange. Un arabe gérait un restaurant et m’a dit que quand les garçons voient un client qui a l’habitude de donner des pourboires, ils se précipitent chacun voulant s’occuper de sa table, et les clients qui ne donnent pas de pourboires, ils les fuient. Voyez-vous, puisque le salaire est fixé, à quoi bon se fatiguer encore ?

Un esclave n’a aucune notion du bien public et de l’intérêt commun. Si vous confiez à votre groupe d’esclaves un local en leur demandant de veiller à la propreté ou une nourriture en leur demandant de partager équitablement, vous verrez se manifester l’égoïsme le plus extrême. C’est ainsi que s’il y a un chien mort sur la route, personne ne se dérangera pour l’enlever. Les bouilloires à la mosquée pour faire les ablutions, personne ne va les chercher pour les remplir : à chacun de chercher sa propre bouilloire, sauf si on a payé un gardien pour ce travail. Regardez cet exemple que j’ai vécu dans un groupe : la nourriture collective a posé plusieurs problèmes : chacun réclame plus de viande, quand on pose le plat, chacun mangera autant qu’il pourra et les retardataires, il faut enlever leur part avant de commencer sinon on ne leur laissera rien puisque chacun considère que ce n’est pas à lui de s’arrêter en premier. Par ailleurs, la nourriture peut ne pas plaire à tous et arriver en retard, et enfin comme il y a des femmes dehors qui préparent à manger pour vivre, pourquoi occuper les sœurs du groupe à faire cela ? Donc j’ai décidé de compter les dépenses en nourriture et donner à chaque membre son argent pour qu’il se débrouille. Et là nous assistâmes à un changement radical des comportements : plus besoin de viande, chacun se contente du strict minimum pour garder le reste de son argent ! Voyez-vous comment dans un groupe d’une dizaine de personnes on n’a aucune considération pour le bien commun, que dire alors si c’est le bien de l’état ! Imaginez un ministre qui perd sa place et en quittant le bureau arrache la moquette pour l’emporter avec lui !

L’esclave a un manque terrible de pouvoir. Pour vous montrer à quel point le besoin de pouvoir est maladif, j’étais une fois avec un groupe d’africains à la douane anglaise pour revenir en France. Je leur ai dit de préparer les papiers complets pour les présenter à la douane. Ils dirent : « Il faut attendre qu’ils nous demandent d’abord ». Cela nous occasionna un retard qui nous fit rater le bateau et attendre le suivant plusieurs heures. Et pourquoi donc : « Il faut attendre qu’ils nous demandent d’abord » ? Parce qu’il faut qu’il se rabaisse à te demander et maintenant tu vas exercer ton pouvoir sur lui en le faisant attendre, au lieu de tout lui remettre d’un coup, comme si tu te soumets à lui ou comme si tu as peur de lui. Pour cela en Afrique, il n’est pas envisageable de sauter une personne dans une procédure. Même si c’est une formalité totalement banale, la personne va s’indigner et bloquer toute la procédure jusqu’à ce qu’on lui demande pardon et qu’on se rabaisse jusqu’à réparer cette atteinte à son honneur.

Autre exemple : savez-vous comment s’assoit un africain quand on lui propose de s’asseoir dans un canapé à trois places ? Il s’assoit au milieu et écarte les jambes pour bloquer les deux autres places. Si quelqu'un d’autre veut s’assoir, il doit lui demander pardon. Ainsi il aura satisfait son besoin de domination, de pouvoir et laissera la personne s’assoir.

Savez-vous quelle est la richesse de l’esclave ? Celui qui n’a ni richesse matérielle ni intellectuelle, il lui reste sa bouche pour parler. Je ne cesse de m’étonner de leur éloquence pour se donner raison, de leur manie des protocoles et de la capacité des malintentionnés parmi eux à déformer les réalités. C’est ainsi que vous avez besoin d’un décodeur si vous arrivez en Afrique noire. Quand vous les voyez approuver vos paroles : « c’est çaaaa ! », « ça c’est vrai ! », sachez que c’est de la politesse. Quand il dit : « Je vais venir » ou « Je te rappelle », c’est un adieu. Quand vous arrivez, on vous demande les nouvelles. Si vous commencez à raconter comment c’est chez vous, vous êtes hors sujet. Vous devez dire que vous venez d’arriver, et avant toute chose vous êtes venu les visiter car ce sont des personnes importantes et incontournables et que vous devez les saluer, les informer de votre présence, demander leur autorisation et leur bénédiction et maintenant vous expliquez le but de votre présence.

Les protocoles et les manières passent loin devant la vérité. Quel que soit le visiteur, on lui dira que nous sommes très heureux et très touchés de sa visite. Quelle que soit la conférence, on va féliciter le conférencier pour l’excellente prestation. Quel que soit le retard, on donnera toujours des explications et de fausses excuses. Quelle que soit la question posée, on donnera une réponse même si on n’a rien compris. Quel que soit le lieu recherché, on vous enverra à un endroit même s’il n’a rien avoir, comme ce taxi à qui je demande s’il connaît le restaurant chinois et qui me conduit à la boulangerie. Quelle que soit la requête, on vous dira de patienter ou de repasser jusqu’à ce que vous compreniez tout seul qu’on ne va rien vous donner.

C’est ainsi que les blancs se font royalement arnaquer en Afrique. Du moment que vous avez de l’argent à investir on vous promettra monts et merveilles et on vous donnera des gages de sérieux jusqu’à vous convaincre et que vous soyez extrêmement réjoui de votre affaire. Beaucoup de gens autour de vous ne diront rien tout en sachant pertinemment que vous allez subir l’arnaque de votre vie. Les exemples sont innombrables mais je cite juste ces saoudiens qui prennent l’avion avec une valise de bronze alors qu’ils ont payé pour une valise d’or ou ces anglais qui ont acheté le stade d’Abuja au Nigéria et n’ont eu que des papiers que ne valent rien. Si vous vous plaignez de ce que vous avez subi, vous trouverez des gens pour vous écouter, vous plaindre, dire tout le mal de vos bourreaux et vous proposer des investissements sûrs et efficaces pour vous arnaquer à leur tour du peu qui vous reste ou vous pousser à emprunter. Le résultat est que vous pouvez faire des affaires en Afrique mais il ne faut jamais les confier à quelqu'un.

Il résulte de la culture de la parole que les réconciliations vont bon train : on cherche des personnes très respectables qui vont se déplacer et présenter des excuses et des supplications à celui qui est fâché, et cela marche – sauf exceptionnellement. Et pourquoi ? Parce que la dispute contient plus de paroles que de différents réels : on a gonflé une toute petite affaire avec des paroles et on est parti sur ses grands chevaux attendre la délégation des notables pour accepter maintenant la réconciliation par respect pour leur rang.

L’esclave est désespérément pauvre. Quels que soient les biens et la richesse qu’il pourra acquérir, il se croit toujours pauvre et cela ne lui suffit pas. A peine obtient-il de l’argent qu’il va vite acheter la chose dont il rêvait tant. Dès que le niveau économique se relève un peu, on voit les boutiques de luxe pousser dans tous les coins. Quel que soit le revenu de la personne, il va tout consommer et le voici finissant son mois difficilement. Quel que soit le niveau social de la personne, son apparence est une préoccupation majeure. Ainsi les tailleurs n’ont pas fini de travailler car les gens ont besoin d’habits neufs à toute occasion. Vous comprenez que les gens ont constamment les yeux braqués sur leurs désirs insatisfaits et c’est en cela qu’ils se croient pauvres.

Vous pouvez deviner comment cette mentalité se répercutera dans les pratiques du pouvoir, nous laissons cela pour le chapitre en question. Par ailleurs la mentalité d’esclavage va se répercuter dans les relations familiales et sociales à travers le respect des aînés.

III LE RESPECT DES AINES

On ne peut que se réjouir du respect des parents ainsi que du respect de l’épouse pour le mari. Dans les sociétés musulmanes occidentalisées, ces respects tendent à se perdre et on se dirige vers la société des blancs où tous sont égaux et chacun décide de sa vie en toute liberté et donc une perte des valeurs et une domination du matérialisme et de la société de consommation. Mais même dans les sociétés musulmanes traditionnelles, je n’ai pas vu le degré d’obéissance et de respect du mari comme en Afrique. Parmi les signes de cette obéissance, si les parents refusent un mariage, le fils ou la fille est obligé de renoncer, ,même s’il y a un enfant, et il sait très bien qu’il devra renoncer donc à l’avance qu’un mariage ne pourra se faire qu’en passant par les parents. Autre signe : la séparation des rôles entre les deux époux : à l’époux de subvenir aux besoins et à l’épouse d’obéir. Alors que dans les sociétés musulmanes dominées par la monogamie, la femme qui travaille va contribuer aux dépenses comme son mari, et en conséquence elle portera une partie de la responsabilité et du pouvoir de décision et l’homme perd une partie de son autorité. Les conséquences sont graves sur les enfants qui prennent l’exemple sur leur mère pour se libérer à leur tour de l’autorité de leur père.

Le fait pour le mari de supporter les charges du foyer le laisse libre de prendre plusieurs femmes : du moment qu’il assume les charges, libre à lui d’épouser qui il veut. L’Afrique est ainsi le dernier bastion sur terre de la polygamie. Cette polygamie permet dans certains pays d’avoir très peu de femmes non mariées et très peu de débauche, tandis que d’autres pays africains ont restreint cette pratique par l’émancipation des femmes et ce sont des hordes de femmes qui se plaignent de l’infidélité de leurs maris à cause de toutes ces femmes en ville qui cherchent à s’accrocher à un homme par tous les moyens possibles. Dans le respect ou même la soumission de la femme à l’homme, il y a aussi des aspects négatifs. Une femme refuse rarement un homme en mariage – ça, c’est bon – mais aussi avant le mariage les femmes cèdent facilement à la pression de l’homme qui veut passer déjà aux rapports, car elle a peur de le perdre et se sent le devoir de le satisfaire. Hélas avec la pénétration de la modernité, de la mixité, l’urbanisation rapide et la vie estudiantine, les grossesses des jeunes filles menacent presque toutes les familles.

Le respect des aînés ne se limite pas aux parents et à l’époux, loin de là. L’aîné de la famille – de tous les oncles ou grands-pères – a toujours le dernier mot en matière de mariage mais l’accord de chacun est requis. Ceci est un couteau à double tranchant : d’abord la complication de la procédure jette un grand nombre de prétendants dans la fornication et cela parfois dans l’indifférence des familles : mais le bon côté est qu’une fois le mariage célébré, tous les membres des grandes familles ont la mission de participer à la réussite de ce nouveau ménage. Néanmoins, et toujours dans le cadre du respect des aînés, la nouvelle épouse risque de se retrouver dans la famille de son mari avec la mission d’exécuter toutes les tâches ménagères dont les autres ne veulent pas ; bon courage à la jeune mariée, qu’Allah te donne la patience et bénisse ton foyer. Et quelles que soient les plaintes dont elle fera part à sa famille on lui répondra systématiquement de rentrer chez son mari et patienter, comme cette sœur qui se plaint que son mari lui fait ma sorcellerie et on lui dit : mais c’est parce qu’il t’aime qu’il veut te garder. Le respect des aînés, garantit la continuité des traditions. Tant qu’on ne peut que se soumettre au doyen et au groupe des aînés, tout changement est très difficile. Si cela est une bonne chose pour conserver les pratiques islamiques et les bonnes habitudes, la majorité des traditions sont des lourdeurs inutiles et dans certains cas contradictoires avec l’Islam.

Le respect des aînés et des traditions engendre un concept de l’apprentissage axé sur le mimétisme. Partout dans le monde on a compris que pour rendre l’enseignement efficace, il faut augmenter la capacité d’autonomie et d’initiative de l’élève en le chargeant de faire des recherches et des exposés et en l’encourageant à discuter et à s’exprimer, mais en Afrique, vous entendez encore les classes répéter en chœur. Même dans les universités vous trouvez des professeurs qui refusent qu’on pose des questions ou même se contentent de distribuer des polycopiés et de faire la lecture en guise de cours. Le pire de tout est l’enseignement islamique avec un maximum de répétition et un minimum de compréhension. Imaginez-vous l’effet des enseignants du primaire qui transforment la classe en garderie et ne se soucient guère de la compréhension et la réussite de chaque élève ? Chaque élève va rêver à un poste d’enseignant où il ne fera rien et aura son salaire – je ne dis pas confortable mais suffisant – garanti et échappera au triste sort de son père cultivateur et de son frère apprenti mécanicien.

Il en résulte qu’une importante solution de sortie de crise et de changement de mentalités est les écoles d’élite. Une école pour laquelle on recrute les meilleurs enseignants avec un salaire convaincant et les meilleurs élèves pour un coût élevé, puis on les fait travailler sans relâche, non seulement on crée une élite intellectuelle mais en plus on inculque la culture du travail et de l’excellence.

IV L’ENFANT EN BAS AGE

Il y a un point où se mélangent le respect des aînés et l’esclavagisme : c’est le traitement des femmes et des enfants. A la naissance, il y a une obsession en Afrique qui est de ne pas laisser l’enfant pleurer. La solution ? Lui donner le sein à tout moment ou le porter constamment. Avec tous mes respects pour ceux qui pratiquent cela, c’est la meilleure façon de détruire la personnalité de l’enfant et de l’abrutir. Les pleurs sont le mode de communication naturel de l’enfant. S’il a faim, il a mal au ventre et pleure. S’il a peur en entendant un bruit fort ou en voyant une scène brutale, il pleure. Par la suite, il pleure quand il n’a pas obtenu ce qu’il veut. Ah, j’ai oublié : s’il a sali sa couche ça le dérange et ça peut le faire pleurer. Bien sûr, s’il est malade ou qu’il a mal quelque part, il va pleurer. La conclusion est qu’il ne faut pas paniquer, qu’au lieu de le prendre ou de le bercer pour le rassurer, car c’est une solution émotionnelle et irrationnelle, cela lui apprend à se réfugier dans une consolation affective et le rend dépendant, il faut au contraire résoudre son problème s’il y en a, et ne pas le prendre sauf pour l’allaiter ou le changer. Le reste du temps, il faut le poser à terre et lui fournir des jouets, même un bout de tissu. C’est par terre que l’enfant apprendra à ramper, jusqu’à marcher, et avec des jouets qu’il apprendra à connaître le monde ainsi que la maîtrise de son corps et ses facultés. Chaque fois qu’il aura fini de tout connaître sur un jouet et qu’il s’en lassera, trouvez-lui un autre sans que ce soit forcément quelque chose de coûteux. Continuez ainsi jusqu’à ce qu’il soit en âge de parler et là je vous dis que quand vous racontez ou enseignez à l’enfant ce qui dépasse sa compréhension vous développez considérablement son intelligence et sa compréhension. Tout cela pour dire combien le fait de porter constamment les enfants ou les attacher au dos nuit à leur développement mental et crée chez eux une dépendance affective.

Ensuite vient la période de privation de l’enfant où on ne lui donnera que très rarement des plaisirs en nourriture ou en jouets et encore moins en sorties ou en livres éducatifs. Il est extrêmement rare en Afrique en ouvrant un réfrigérateur de trouver des yaourts ou en ouvrant une armoire de trouver des gâteaux. Les fruits, c’est un peu moins rare. Tout ce qui peut arriver de bon, c’est la course pour terminer : il faut en profiter avant que cela ne finisse. Puis commence une longue période sans yaourt et sans gâteau, car il y a trop de bouches à nourrir. Donc on achète ponctuellement et le nombre exact dont on a besoin, et certains papas vont tout simplement au restaurant ou ailleurs pour faire bonne chère car il n’y a pas moyen de payer cela à toute la maisonnée.

Il y a une culture qui considère que la privation et la souffrance de l’enfant sont nécessaires à son éducation, et qu’il ne peut pas décider pour lui. Par exemple, on lave l’enfant dans une bassine devant tout le monde, souvent dans la rue, jusqu’à un âge avancé, comme si son corps ne lui appartient pas et sa pudeur n’intéresse personne. Autre exemple : la multiplicité des femmes qui l’allaitent et qui le portent et des hommes à qui il faut obéir, comme s’il est une propriété collective de la grande famille. Toutes ces privations gravent en l’enfant un besoin obsessionnel de consommation, de possession, de pouvoir et d’autorité. Pas besoin de répondre que trop de liberté et de gentillesse gâtent l’enfant, il suffit de considérer le modèle du prophète (s) et ses enseignements pour voir que la bonne norme est de lui enseigner la vérité, la droiture, ainsi que sa part d’affection et de jeu, puis les sports et loisirs qui l’aideront à s’épanouir et surtout un maximum d’apprentissage.

Mon cœur me fait mal en voyant des écoliers ne disposant pas de livres de lecture – ou ne sachant même pas ce que c’est. Je pense à ces livres ou bandes dessinées que je lisais par dizaines : romans, policiers, séries rose, rouge et verte, livres d’histoire, de culture et de civilisation, revues scientifiques, livres moralisateurs, science fiction, collections de blagues, sport cérébral… Les livres islamiques constituent à eux seuls un monde à part. Chaque genre a son apport et son importance.

Je me rends compte en écrivant ces lignes que les discussions vides de contenu, les articles superficiels dans les journaux, les prêches manquant cruellement d’informations, tels une marmite pleine d’eau avec une petite pomme de terre dedans, s’expliquent en grande partie par l’absence de lecture, de même que le manque d’horizons et de perspectives dans l’univers mental des cadres.

Que Dieu bénisse les écoles, associations de parents ou quartiers, mairies et ONG qui vont organiser des bibliothèques et clubs de lecture où à tour de rôle on exposera un résumé des livres et une analyse du contenu avec la bibliographie de l’auteur et le contexte historique de l’œuvre. Si ce projet voyait le jour, cela ferait par la grâce du bon Dieu une bonne émission télé ou radio. Et voilà d’autres qui proposent de traduire les livres en langues locales, et les radios de proximité remplaceront ces longues heures de chansons en lecture – traduction –.

V LA CRISE

J’espère que les chapitres précités vous ont permis de comprendre comment la crise se produit. Le centre de toute la crise est la politique. Dans une société où toute notion de respect du bien public et de citoyenneté est absente, où les individus sont assoiffés de consommation, de possession et de pouvoir, où la personne appartient à sa grande famille, sa tribu et son ethnie, mais quel système politique voulez-vous qu’il s’installe ? Je n’ai vu en Afrique – bien que je ne connaisse pas toute l’Afrique – que des partis politiques construits autour d’une ethnie, sauf si c’est une personnalité historique qui a réussi en son temps à unir la nation. Quand bien même une personne bien intentionnée entrerait en politique, elle serait face à deux réalités : une pluie de sorcelleries venant de tous ses concurrents et surtout du pouvoir en place, et la nécessité de s’allier avec des gens qui veulent leur part du gâteau, parce que partout où il se retournera il ne verra quasiment qu’eux, et il se retrouvera à faire la surenchère pour les rallier. Mais si tu viens prêcher la bonne gouvernance et l’intérêt du peuple, qui va engager son nom et sa fortune dans ce combat ?

Est-ce que la situation alors est complètement bloquée ? En tout cas je ne connais aucun pays africain qui échappe à cette règle. Les militaires seraient-ils une solution ? Hélas ils ont dépassé tout le monde en sorcellerie, en satanisme, en corruption et en racket de la population. Et la démocratie ? Avez-vous entendu parler du bétail électoral ? Les masses de « citoyens » dont on achète le vote à 1000F CFA – 1,5€. Et s’il est musulman, on le fait jurer sur le coran qu’il votera pour toi, et le chrétien sur la bible et le féticheur ramènera son idole pour jurer dessus. Un missionnaire chrétien me disait qu’il est toujours aisé de reconnaître la maison du chef dans un village : c’est celle qui a la grande parabole et la belle 4X4, cadeaux du politicien en échange du vote de tout le village ! Sans parler de la mainmise de l’état sur la télévision, la radio et autres moyens utilisés pour orienter l’opinion publique, qui fait que malgré tous les observateurs internationaux les élections sont déjà faussées. Donc la démocratie permet surtout au régime en place de se perpétuer.

Mais il arrive pourtant que les élections amènent un changement au pouvoir. C’est rare, mais cela peut aussi être une révolte ou un coup d’état. Le plus souvent le pouvoir changera… avec la mort du chef d’état. Et le plus souvent le nouveau venu ne sera guère mieux que le précédent puisque tous ceux qui se plaignent de la corruption veulent en fait leur part et les présidents arriveront des fois à les satisfaire – par intelligence ou par contrainte – en leur donnant un poste où ils se serviront à leur tour.

Mais alors quelle est la solution ? Attendez d’abord de comprendre l’ampleur des dégâts. Ce président va distribuer les postes de complaisance dans sa famille, son ethnie et ses alliés politiques et à chacun de se débrouiller pour détourner le budget dont il dispose et monnayer les services qu’il est supposé rendre à la population. Il en résulte une perversion du haut vers le bas de tous les services de l’état – faut-il en dresser la liste ? – et la question que je me pose est : comment se fait-il qu’on rencontre parfois des gens honnêtes à des postes clés ? Bien, il se peut que le président connaisse quelqu'un d’efficace et de fiable qui ne soit pas engagé en politique et qui travaille au bon fonctionnement de l’état et lui confie une responsabilité importante, ou quelques rares fonctionnaires honnêtes qui ont suivi leur carrière jusqu’à gravir les échelons. En dehors de cela, pas une route ne sera construite correctement, pas un concours sans pot de vin, pas un marché public sans piston et intérêt, pas un barrage ou poste de douane sans corruption, pas un match de foot sans sorcellerie… la sorcellerie est omniprésente dans tous les enjeux. A l’image de ce jeune frère surveillant au collège qui passait la journée avec nous. Je lui demande s’il ne travaille pas, il dit que ce sont les examens du brevet et il ne peut pas aller à l’école. Mais pourquoi ? n’est-il pas sensé surveiller les épreuves ? Si mais le problème est qu’il y a dans la cour un professeur qui corrige l’épreuve, puis fait les photocopies de son corrigé et envoie les surveillants distribuer le corrigé dans les classes aux élèves qui ont payé le « colis » : l’ensemble des corrigé de toutes les épreuves, payable en début d’année et partagé entre tous les participants à la magouille à commencer par le directeur de l’école.

Vous avez dit : quelle est la solution ? Et je vous dis : mais qui cherche une solution ? Toute personne qui a trouvé le moyen de s’enrichir sur le dos du peuple et en fait profiter sa famille élargie, pensez-vous qu’un de ces bénéficiaires s’élèvera contre lui et refusera son argent ? Je n’ai JAMAIS eu vent d’une telle situation. Chacun est ravi de recevoir son cadeau après toutes ces années de privation et de frustration. Les chefs religieux sont bien lotis. Quelles que soient la corruption et la criminalité d’un dirigeant, vous trouverez autour de lui des grands imams et pasteurs pour lui faire des bénédictions – souvent des sorcelleries – et chanter ses louanges au peuple.

Donc, qui veut le changement ? La majorité de ceux qui réclament le changement réclament en fait leur part du gâteau, et nous assistons chaque fois à des retournements spectaculaires d’animosité historique en alliance dorée.

VI SOLUTIONS ?

Soyons très prudents pour avancer des solutions. Un continent qui coule, qui peut avoir la prétention de donner une solution ? En tous cas nous demandons l’aide d’Allah et nous faisons de notre mieux. Il est sûr que les populations qui souffrent se plaignent de leurs malheurs et de l’insouciance de leurs dirigeants. Décrier la corruption et la mauvaise gestion est dans les bouches de beaucoup de gens. De là à ce qu’il y ait une volonté de changement, il y a quelques conditions à remplir. Là où se situe ma contribution, c’est la recherche des racines de la crise dans les mentalités et comportements de chacun et la sensibilisation à se changer en profondeur.

La génération montante d’étudiants et de jeunes cadres sont les plus demandeurs de changement mais en fait ce sont eux qui doivent changer. Remplacer des gens mauvais par d’autres moins mauvais ne donnera rien du tout car la situation de pouvoir les rendra aussi mauvais que les précédents. Donc ce sont eux qui doivent être conscientisés et éduqués de façon à arracher le mal par la racine.

Chaque fois dans une conférence islamique quand j’appelle à laisser et combattre la triche à l’école ou la corruption à tous les niveaux, c’est une avalanche de questions et d’objections. Donc on est contre la corruption et la triche mais on se pose en victime du système qui ne peut que se plier à la règle générale pour ne pas se faire broyer par une dynamique dominante et pour ne pas perdre le peu de chance qu’il nous reste dans la vie. Il faut au contraire décider de changer les choses en commençant par le refus de s’y soumettre soi-même. Bien entendu, si vous êtes seul à le faire vous risquez d’être sacrifiés, comme ce douanier qui me dit qu’on l’affecte chaque fois dans des tâches ingrates et où il est seul car s’il est dans une équipe il les empêche de tricher donc personne ne veut travailler avec lui. Mais il est possible que vous deveniez le grain de sable qui brisera la machine comme ce journaliste mis en prison par le directeur de cabinet du président à cause de ses critiques ; le président le fit sortir et limogea son directeur de cabinet. Et probablement d’autres vous imiteront jusqu’à ce que les corrompus deviennent minoritaires.

Le premier pas dans le changement est qu’on doit comprendre nos propres défauts qui font de nous une partie du système en crise. Voici donc vos ennemis : la sorcellerie, la corruption, le mépris des subordonnés, le travail mal fait, l’accaparation du pouvoir et de la richesse, l’utilisation de la religion pour la réussite sociale, ainsi que toute règle sociale ou principe éducatif qui favorise cela. Votre mission est donc de combattre tout cela vigoureusement en vous-même et dans la société. P

uis je m’adresse en premier lieu aux organisations islamiques d’intellectuels pour comprendre les portées des mentalités et en corriger les défauts chez leurs membres et à travers eux dans la société. Par exemple les associations d’étudiants et élèves musulmans ont l’obligation de combattre la tricherie et la corruption à l’école et doivent pour cela chercher à collaborer avec les autres associations ainsi qu’avec les enseignants, les parents d’élèves et l’administration. Si les militants musulmans qui se veulent la force du changement dans le pays ne sont pas capables de combattre la tricherie à l’école, comment pourront-ils agir contre la corruption dans les entreprises et les administrations, là où on ne triche plus pour des points mais pour des millions ?

Les sœurs musulmanes doivent apprendre une nouvelle manière d’éduquer les enfants en les responsabilisant et les conscientisant très tôt, en développant leur intellect et leur compréhension de la religion.

Les imams et prédicateurs sont le deuxième véhicule du changement de la société. Les imams ont le devoir de comprendre et expliquer aux musulmans l’interdiction de la corruption et l’obligation de traiter ses subordonnés, employés et citoyens de façon fraternelle et bienveillante. Ils ont aussi le devoir d’analyser tous les comportements sociaux à la lumière de l’Islam pour dénoncer ce qui n’est pas islamique.

Ensuite je m’adresse aux artistes. Les chanteurs et acteurs (ou si on préfère les compositeurs et scénaristes) ont un grand pouvoir d’action sur les mentalités. Tout en restant dans leur rôle de distraction et d’animation, ils peuvent véhiculer une éducation et une conscientisation des masses.

Bien entendu les discours et comportement des politiciens voire les programmes d’éducation nationale ne serait-ce qu’en proposant des textes ou des livres à étudier qui traitent ces problèmes peuvent avoir un impact considérable sur les populations.

Au niveau de la lutte contre la sorcellerie, nous sommes engagés dans une campagne d’éradication de la sorcellerie et de combat contre tous les satanistes qui recourent au mystique pour dominer les gens et nous invitons tous les raqis à nous rejoindre dans ce chantier et ne pas faire de leur science de guérison une connaissance secrète qu’ils monnayent très cher. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues avec nous dans ce combat.