LA DAAWA

Les sorties et activités de daâwa et tabligh sont vraiment mon moule de formation en spiritualité, en prédication et en gestion de groupes. J'ai fait ma première sortie de trois jours en Angleterre en 1983 quand j'avais seize ans, puis mes premiers quarante jours en 1987 et au Pakistan. Depuis j'ai fait 19 fois quarante jours en plus des quatre mois, et j'ai même appris l'urdu (pakistanais) pour avoir un contact direct avec les dirigeants.

L'activité de daâwa et tabligh est un cadre unique pour comprendre l'effort du prophète, salla Allahou alayhi wa sallam. On reproche souvent au tabligh que c'est une méthode archaïque de prédication et qu'il faut profiter des moyens modernes: c'est passer complètement à côté du but et de l'esprit du tabligh. Le tabligh n'est pas une structure de prédication mais de formation; et tu ne vas pas te former en prêchant à la radio ou dans un journal, mais en confrontant dans la rue toutes sortes de gens, en te rabaissant chaque fois qu'on t'agresse ou t'humilie, en recherchant toutes sortes de sagesses pour toucher leurs cœurs et en implorant tous les soirs Allah de les guider. Telle est la formation qui colle le mieux à celle des sahabas, qu'Allah les agrée, qui reproduit la vie des prophètes et qui permet de vivre le Coran. Sinon, pour l'efficacité de la daâwa, mon choix aujourd'hui est les livres, la télé et radio et enfin la voie officielle: être reconnu par les autorités et prêcher par les voies officielles.

Je vais maintenant citer les limites et lacunes de ce mouvement, non pas que je me suis retourné contre lui ou que je le déconseille à quiconque, mais un esprit rationnel doit savoir les limites de ce qu'il fait et avoir une idée de ce qu'il n'a pas su conquérir. D'abord il y a une étape dans le tabligh après la daâwa de la rue qui est la daâwa au travail. Je donne l'exemple de cheikh Amjad Ali de Karachi, médecin cardiologue qui a sa propre clinique. Il me raconte comment il fait la daâwa au travail:

« Quand un malade vient, je lui explique que sa maladie est due à ses péchés car Allah dit: « et tout malheur qui vous atteint est à cause de ce que vos mains ont fait » (La Consultation). Il doit donc commencer à se repentir et je lui demande ce qui se passe dans sa vie pour voir si c'est la prière qu'il doit arranger, ou sa façon de gagner sa vie ou ses relations avec ses proches ou autre. Ensuite, quand je donne la prescription, je mets: lire Yasin trois fois par jour, faire tel et tel douâa, et ensuite les médicaments. Quand il faut faire une opération, je demande à la famille de jeûner et de venir se recueillir dans la mosquée de la clinique pendant que nous demandons l'aide d'Allah et procédons à l'opération. Quand un malade séjourne à la clinique, nous lui amenons la pierre pour la tayammoum et nous lui expliquons comment prier dans son état. Les malades ont aussi une séance quotidienne de hadiths et de lecture de sourates. Les infirmières ont une séance quotidienne d'apprentissage de Coran et d'étude de la science, et il y en a parmi elles qui sont devenues alimat – savantes – et hafizat – ont appris le Coran entier par cœur – avec cette séance quotidienne ».

Et c'est ainsi qu'on enseigne le tabligh à tous les médecins au Pakistan et en Inde ainsi que tous les pays qui suivent leurs instructions, et pour chaque catégorie professionnelle il y a un programme pour prêcher au travail. Et vous allez me demander qu'est-ce que j'ai à reprocher à cela? Ce que je reproche est qu'il y a plusieurs pays qui ne suivent pas ce mouvement et qui sont toujours limités à la daâwa de rue. Et savez-vous pourquoi? Parce que les dirigeants du tabligh dans ces pays sont des gens qui ne travaillent pas et pour eux le tabligh consiste à pousser les gens à ne pas travailler pour se consacrer à la daâwa.

L'autre lacune dans le mouvement daâwa et tabligh est l'inexistence de la conception de l'émir. On insiste beaucoup sur la choura – concertation – mais il n'y a pas de formation d'émir et quasiment même pas de conseils à l'émir sur la façon de gérer le groupe et jamais d'évaluation des émirs. Il en résulte une reconduction indéfinie des émirs inefficaces et des erreurs de gestion humaine. Le critère de choix de l'émir est unique: l'engagement et l'ancienneté, alors que certains ne seront jamais aptes à diriger.